
Françoise Dax-Boyer
Interview au sujet de son dernier roman "Voyage Voyage"
SEA, SEX & SUN
Ewen Giunta & Balthazar Astier
6/9/20235 min read
Écrivaine, poétesse, réalisatrice, Françoise — communément appelée Fafa — publie son quinzième ouvrage intitulé Voyage Voyage aux éditions du Palais en avril 2023. Lors d’un dîner chez l’autrice dans le XIVème, Fafa nous conte ses meilleurs plages, baisers, soleils et sentiments d’éternité.
F : J’ai toujours eu des beaux étés. Les plus beaux ont été ceux pendant le Festival d’Avignon. C’était magnifique. J’étais l’élève de Daniel Mesguisch et chaque année je le suivais dans le Sud. En 1981, il avait donné Le Roi Leah de Shakespeare dans la cour d’honneur du Palais des Papes. C’était des bons moments où l’on croisait des personnalités comme Jack Lang. À l’époque, les gens étaient accessibles. C’était extraordinaire. Le festival était un lieu de rendez-vous où les gens se rencontraient, discutaient et dînaient ensemble. Il n’y avait aucune barrière sociale, ça ne se voit plus.
J’adorais vivre mes étés là-bas parce que j’étais dans un hotel formidable. La journée on restait au lit, on se prélassait dans les piscines, on flânait et le soir, on sortait toute la nuit. À Avignon, il y avait une inversion réelle du jour et de la nuit.
LRR : Vous passez aussi tous vos étés au Cap Ferret. Pourquoi cet endroit ?
F : Au Cap Ferret, il y a la maison familiale. Donc nous y allions tous les étés. C’est un lieu complètement magique, mais différemment. De toute ma vie, je n’ai jamais retrouvé un lieu aussi beau que le Cap Ferret. Jamais. C’est un lieu éternel— le temps qui restera éternel—où j’ai vécu des étés magnifiques. Il y a la mer à l’infini, le sable à l’infini avec la dune du Pilat, une joie de vivre infinie.
Nous allons Chez Hortense, ce magnifique bistrot posé sur l’eau, à la pointe. On y retrouve tous les people du coin. Nous y mangeons les moules et partageons avec les gens. S’il y a un anniversaire, c’est tout le monde qui applaudit comme si on fêtait les bougies de nos meilleurs amis. Bernadette, la patronne du bistrot créé ce lien avec les gens. Ce lieu familial et familier est hors du temps.
Au Cap Ferret, on a l’impression de vivre quelque chose d’important et en même temps de pas important. On a l’impression de toucher du doigt l’idée d’éternité. C’est rare. Face à la mer, face aux piquets, nous contemplons. La pointe est une invitation à la méditation.
LRR : Vous parlez beaucoup de l’eau que ça soit celle de la mer ou des piscines. Pourquoi cette omnipresence de l’élément aquatique ?
F : Je pense que le rapport à l’eau est extrêmement important. C’est comme ça que nous respirons, que nous vivons, et pour moi, c’est un element vital. J’adore être dans l’eau et même à Venise ! Je me suis baignée je ne sais combien de fois dans la Lagune pour goûter cette impression d’éternité. Se dire qu’on est à un moment donné, dans un espace réel mais hors du temps, c’est quelque chose qui me touche. Dans ma valise j’ai toujours un maillot de bain.
LRR : Que pouvez-vous nous dire de plus sur Venise ?
F : Venise est la deuxième ville que j’aime le plus au monde. C’est l’un de mes plus beaux voyages, que j’aime appeler un “voyage bulle”. C’est un endroit happé par la beauté où plus personne ne peut nous atteindre malgré les foules de touristes. La beauté est à chaque coin de rue. C’est incroyable.
LRR : Le voyage résonne tellement en vous que vous avez décidé d’en faire un livre.
F : Tout à fait. Mon quinzième ouvrage Voyage Voyage se présente comme une chronologie, une continuité des voyages qui m’ont marqués de 2015 à aujourd’hui. Des voyages qui m’ont marqués politiquement comme en Israël et en Palestine, ou même en Corse, où j’ai découvert que les Français n’étaient pas Corse. Je me suis retrouvée sur un île sauvage magnifique qui pourrait ressembler à toutes les îles après lesquelles on court.
Le recueil commence en 2015 par Cracovie. Il est étroitement lié à mon roman Les deux font le père. J’ai voulu me rendre en Pologne, là où mon père a été prisonnier, pour vérifier ce qu’il s’est passé, voir les camps de concentration. C’était un voyage à la fois politique et psychanalytique.
L’un des voyages phares du recueil est l’île de Symi en Grèce, le berceau de notre civilisation. Quand j’y vais, j’ai l’impression de retrouver toute la mythologie grecque à chaque coin de rue. Sur les ports, à chaque depart de bateau, on a l’impression que le pêcheur du coin est un petit Ulysse qui partira puis reviendra raconter des histoires. Il y a toujours une mythologie ambiante en Grèce que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. C’est assez étonnant, le poids de la mythologie.
LRR : Est-ce le voyage qui vous inspire à écrire ?
F : Si je ne voyageais pas, je n’écrirais pas. J’ai beaucoup écrit au Cap Ferret, j’ai enrichi mon premier livre Le basson d’Arachin là-bas. C’est Jean Tardieu qui avait trouvé le titre, car le bassin résonnait comme un basson et il en avait fait une contrepèterie. Les lieux m’inspirent à écrire, à y laisser mon empreinte. Le bassin d’Arcachon est un lieu qui a été habité par des star comme Sarah Bernhardt qui disait qu’elle vivait parmi les roses. De tas de personnes y ont vécu et y ont laissé leur trace. J’aime savoir si une telle personne est passée la où je voyage, cela me touche.
LRR : Vous revenez souvent sur le sentiment d’éternité par la mythologie, la trace des gens qui dépasse le temps. Au Cap Ferret, est-ce que le sentiment d’éternité est prouvé par le temps ? Est-ce que cela reste aussi beau que ça l’a été au début ?
F : Je pense que l’on a ce sentiment d’éternité au Cap Ferret parce que rien ne bouge. Ça me rappelle Lamartine qui dit : “la nature est la même et le même soleil se lève sur tes jours”. On a l’impression que quelque chose ne changera jamais. Sur l’île de Symi, on ressent la même chose. Il n’y a personne, on a l’impression d’être la première personne à fouiller le sable de cette plage.
Ce qui est beau avec le voyage c’est qu’il va au-delà d’une chronologie et même de l’espace. Dans notre esprit, on peut partir où l’on veut. Voyage Voyage se termine par un voyage que je n’ai jamais fait, mais que je rêve de faire : le Svalbard. Un archipel norvégien où il y a un coffre fort qui contient toutes les graines du monde, au cas où il y aurait une fin du monde, afin que les gens puissent les retrouver et faire pousser du blé du Pamir ou de l’herbe de Samarcande. Je termine le livre en racontant ce voyage comme si j’y étais allée, car à force d’en parler j’ai fini par le vivre. C’est une écriture de pure imagination, mais c’est une île qui est la promesse de dire ce que nous étions.
xoxo, Ewen & Balthazar