Les Queens prennent-elles leur retraite ? It-girl et décadence.

THE QUEENS ISSUE

Rafaela Sebastiao Rodrigues & Ewen Giunta

1/5/20235 min read

Les réseaux sociaux ont-ils détruit la « it-girl » ? C’est ce que laisse à penser la myriade voire l’explosion d'influenceuses propulsées par les réseaux aujourd'hui. Si tout le monde peut devenir une it-girl, le concept ne perd-t-il pas son essence le rendant complètement caduque ? Forme d’élite aristocratique à l’origine, on assiste aujourd’hui à une chute de l’Eden de it-girls dont le statut transcendental perd tout son sens. N’y a t’il pas cependant là le propre de toute monarchie : une décadence qui devient elle-même in ?

God save the queen(s), God is making hard to define them surtout. Qu’est-ce qu’une it-girl au fond et qu’est-ce qui fait d’elle la résurgence d’une aristocratie dont est dénué notre (pseudo-)démocratique monde moderne ? Comme toute bonne royauté qui se respecte ? Le halo d’une it-girl repose avant tout sur un droit divin qui pue le fric. Elle doit être belle et inaccessible. Elle n’est à l’origine pas relatable, and why would she, car rien de sa vie ne doit avoir d’attache à la vie d’un commun des mortels qui consomme son image avec délectation. Son droit divin, elle l’obtient en devenant une véritable idole (au sens religieux du terme), car la it-girl disparaît derrière l’écran sacrosaint dont elle tire sa fame. Derrière l’écran qui la sépare du peuple, elle cultive une personnalité particulière, une aura, un magnétisme inexpliqué, ce je-ne-sais-quoi presque insupportable, qui l'érige en icône fascinante soumise à un culte. Cette stratégie, elle l’hérite des vielles aristocraties européennes qui cultivaient leur image à travers tout vecteur qui s’y prêtait : portraits officiels, monnaie, etc…

L’actrice Clara Bow peut être considérée comme une des premières it-girl contemporaines, suivie par les iconiques Marilyn Monroe, Audrey Hepburn et Elizabeth Taylor. Jusqu'aux années 1960, la considération publique et sociale d'une it-girl dépendait toujours de l'appréciation masculine (évaluation de la beauté, position de pouvoir dans l'industrie Hollywoodienne, etc.). C'est seulement à partir des années 1970-1980 que la it-girl s'écarte des attendus de beauté dominants. Grace Jones ou Iman ne sont plus seulement des sex-symbols mais bien de véritables individualités bousculant le stéréotype de l'icône occidentale caucasienne. Les supermodels des années 1990 poursuivent cet élan. Elles allient à la fois beauté et personnalité pittoresque s'éloignant de l'image lisse d'antan. Kate et Naomi se droguent, font la fête, s'éloignent du rôle du mannequin parfait de la boring Bruni. Dans les deux cas, leur lifestyle dénote avec celui du reste du monde. Il faut absolument citer Chloë Sévigny, it-girl underground de la contre-culture youth, tant dans sa manière de s'habiller que dans ses choix de films venant encore rajouter plus de reliefs et d'intérêts à cette figure puisque l’alternatif se voulait plus down-to-earth que tout ce qui a précédé. Chloë avait bien saisi l’essoufflement d’une telle élite, en bonne royalty, elle a fait de sa culture et de ses goûts à contre-courant le propre de sa distinction. Ses efforts de révolution sont vains puisque la récession des années 2000 propulse des princesses au devant de la scène d’une tabloïd culture en quête de paillettes. Émergent alors Paris et Nicole qui fascinent par leurs déboires, leur statut et leur image « incontrôlée » de party girl bimbo, famous for being famous. L’acmé d’un mouvement d’aristocratisme qui érige les ultra-riches au sommet de piliers complètement out-of-reach pour le reste de la population (d’où peut-être la folie qui a touché le Bling-Ring). Enfin, les années 2010 sont une période floue et transitoire avec l'émergence des nouveaux réseaux sociaux comme Instagram dont l’accès est ouvert à tous et a forcément crée une forme de démocratisation. Son utilisation reste encore innocente et n'influence pas dans le surgissement des principales it-girls de cette époque : Alexa Chung, la copine de la rockstar Alex Turner et Camille Rowe (le clip Cherry de Strobeck, cigarette à la bouche, nous hante encore). Déjà cependant, une forme de distinction se rejouait dans le contenu des posts et le flair de ces derniers. Les it-girls (et tous leurs followers) s’approchaient plus d’une approche indie-sleaze qui prenait racines dans le réseau plus alternatif tumblr.

Les it-girls des années 2010 étaient assez facilement reconnaissables et leur petit nombre préservait le caractère élitiste de leur statut. Néanmoins, les réseaux sociaux sont venu brouiller tout cela. Bella Hadid, Iris Law, Lila Moss, Emma Chamberlain, Lily-Rose Depp, Kaia Geber, Zoé Kravitz, Mathilda Djeref, Mia Regan… le décompte parle pour lui. Avec les réseaux sociaux, on est passé de la it-girl à la it-girl-influenceuse. Or celle qui influence est forcément proche du peuple. La it-girl se démocratise donc. À l'origine, cette dernière ne cherche pas à être connue et influente. Elle est désignée par l'opinion publique grâce à son inaccessibilité, sa rareté, ses déboires et, surtout, sa supposée liberté d’agir, donc son propre aristocratique disons-le. C'est son naturel et l'apparence de vivre sa vie sans contrôle qui attirent et fascinent. Avec les réseaux sociaux, on assiste à une mise en scène de soi, calculée, qui de facto, dénature le statut et la possibilité d'être it-girl. Les nepo-babies, dont le statut est l’ultime preuve et ultime vestige de l’attache de notre société avide d’une préservation des privilèges par une petite classe dont les droits sont acquis de naissance, représentent l’apogée d’une aristocratie qui tente désespérément de se réinventer. Zoé, Lily-Rose ou Kaia, tentent de déjouer ce que leur statut exigerait en utilisant rarement ou différemment les réseaux sociaux. Par cette faible communication, elles intriguent et suscitent l'attention laissant les paparazzis ou les tabloïds parler pour elles. On peut voir en cela une forme de résistance de la part des nepo qui n'ont toutefois pas besoin des réseaux pour être célèbre et convoitée au vu de leur capital économique et symbolique de base.

Dernier bastion d’une aristocratie en déclin, les nepo ne font pas l’unanimité et sont surtout mises à mal par une transformation de la it-girl en produit de consommation. Il existe aujourd’hui autant de it-girls que d'internautes. Il suffit de voir la multitude de vidéos, de compilations et de montages de fan sur TikTok dédiés à de multiples élues. Une véritable capitalisation et marchandisation industrielle est réalisée autour de l'image de la it-girl qui s'adapte aux goûts de chacun. Elle devient générique, sans identité, véritablement commune et accessible. Oxymorique. On retrouve la man-eater, la messy french girl, la heather, ou la lower-east-side girl dans les guides « how to become an it-girl ? ». Tout le monde peut tendre à cette esthétique à travers l'achat de vêtements (de fast fashion) qui servent l'intérêt marchand des marques et des « influenceuses ». Une esthétique qui reste atteignable mais jamais parfaite. Car être une it-girl dans la vraie vie n'a aucun sens quand on s'éloigne du style de vie de l'influenceuse, du cadre digital et médiatique, de la nécessaire idolization derrière l’écran. En somme, cette prétendue accessibilité et la prolifération des nouvelles influenceuses viennent annihiler ce qui rend intrinsèquement aristocratique la figure à ce point captivante. Bye queens.

xoxo, Rafaela et Ewen