
"Let them eat cake"
THE QUEENS ISSUE
Ewen Giunta
1/5/20235 min read
« Qu’ils mangent de la brioche » est une citation qu’on attribue à Marie Antoinette, dernière Reine de France etc… Il a été démontré qu’elle ne l’avait jamais prononcé et même pourquoi les révolutionnaires avaient inventé la rumeur, en pastichant une syntaxe et un caractère qui semblaient seoir à la perfection à la reine. Si la dame est devenue au fil du temps une sorte de créature hybride dont les traits tirent tantôt sur ceux d’une figure historique et tantôt ceux d’un personnage de papier, elle était donc en réalité avant même le biopic de Sofia Coppola sujette à une romantisation et une réinvention de son caractère. C’est bien l’anachronisme du film de Coppola qui achèvera parfaitement d’illustrer notre rapport contemporain à une reine qu’on a toujours aimé à consommer pour ce qu’elle représente plus que pour ce qu’elle était.
Deux causes peuvent être isolées pour expliquer cela. De manière évidente, le rang de Marie Antoinette la rend favorable à un traitement biographique qui est d’autant plus percutant à une époque comme la notre qui aime voir les coulisses des théâtres et autres scènes de l’Histoire (cc Stéphane Bern). Les biographies et autres médias (pseudo-)historiques cherchent tellement souvent à déceler les secrets d’une intimité dissimulée derrière les hauts murs des châteaux qu’ils en oublient souvent de faire de l’Histoire. Peu importe au fond, car Marie Antoinette n’intéresse pas tant car elle est reine mais plus pour ses pour ses secrets. Une autre cause, bien que liée, c’est en effet l’identité propre de cette reine de France avant tout. C’est une femme dont on a retenu la personnalité pour ce qu’elle a d’absolument moderne. Sa frivolité et son impact evident sur la mode de son époque, font d’elle l’équivalent evident d’une socialite (d’où peut être les scénaristes de Gossip Girl ont-ils voulu rendre la comparaison évidente avec Blair Waldorf lors de son séjour à Paris). La contradiction de la femme Marie Antoinette relève au final d’une cohérence de statut : la figure historique de haut rang et l’idole de son temps viennent se lover dans la chair d’un personnage naissant dont on ne peut jamais atteindre véritablement l’intériorité. Ce paradoxe c’est notre culture de la télé-réalité qui parvient le mieux à l’exploiter pour nous montrer les contours indicibles d’une trivialité mondaine. L’obsession des membres du Bling Ring pour Paris Hilton and co relève de la même chose.
C’est justement le thème même de la biographie de Marie Antoinette, qui s’impose selon moi comme la meilleure en date> Publiée en 1932 par Stefan Zweig, le texte entendait bien rendre compte d’une psychologie propre à un être moyen, n’ayant aucune prédilection ou talent propre, celle d’une femme ordinaire à la position extraordinaire. Déjà conscient quelques cent-cinquante ans après la vie de la reine du statut absolument unique de cette dernière, Zweig a fait le pari de croiser faits historiques, documents d’archives, analyses psychologiques et l’opinion du public à son égard. Marie A ntoinette était presque déjà un fantoche soumise aux scrutements acerbes des spectateur..ices de sa génération et de celles à venir. La biographie de Zweig prend alors un aspect presque romanesque, puisque pour remplir les pages de son ouvrage, l’auteur autrichien procède à des descriptions morales et psychologiques d’une immense finesse, mais supposant nécessairement une forme d’invention, de supposition. Le rôle de reine, pour lequel Marie Antoinette n’est pas faite, reste, malgré son manque apparent de noblesse de corps et d’esprit la cause principale de sa métamorphose en personnage de fiction. Parce que l’on conserve la correspondance de Marie Antoinette, il a été aisé pour l’écrivain psychologue que se fait Zweig de procéder à une étude de la personnalité du personnage confrontée à des épreuves dignes des meilleures intrigues. L’Autrichien peignant l’Autrichienne monte une tragédie en cinq actes infernaux qui bafouent le calme soyeux d’une jeunesse dorée par un mariage malheureux. S’ensuivent les revirements de la trame dix-huitièmiste lors des analyses mondaines au Trianon et surtout lors de l’aventure amoureuse avec Fersen. Le texte propose enfin de mettre en scène les épreuves d’une femme confrontée à la violence de La Révolution française venant bouleverser sa vie pour la mener au dénouement tragique prémédité par son existence. Le coup de maitre de Zweig c’est d’inférer que la fatalité de Marie Antoinette s’incarne dans le sang même de cette dernière : l’usurpation originelle d’une femme qui n’aurait pas dû être reine, qui devrait être une héroïne de roman réaliste et non celle d’une tragédie. Zweig brille en supplantant à la colère des Dieux et au fatum grec le rang même de cette archiduchesse comme cause de son destin funeste.
On remarquera pourtant que cette biographie de Zweig ne fait pas l’unanimité totale. En 2006, alors qu’elle réalise Marie Antoinette, Sofia Coppola avoue ne pas avoir voulu lire l’oeuvre qu’elle juge trop sérieuse, trop rigide, trop masculine. Elle se base alors sur la plus licencieuse biographie de Antonia Fraser (2001) et décide de se concentrer sur les années Versailles et Trianon omettant les événements de la Révolution et la captativité politique de la Reine. Coppola offre ainsi au public une version moins historique et bien plus fictive de la vie de Marie Antoinette, assumant le manque de fidélité à la réalité historique et revendiquant l’anachronisme (les fameuses baby blue Converse). Elle préserve au même titre que Fraser un filtre romantique afin de se réapproprier de manière féminine et féministe la figure de cette femme trop longtemps persécutée par le milieu masculin et peu sensible des historiens. Fraser puis Coppola achèvent donc l’une après l’autre un glissement progressif de la figure historique vers le personnage de fiction. Toutefois, question de féminité et de féminisme à part, le but premier pour Coppola reste de se rapprocher de Marie Antoinette. Comme pour tous ses personnages, la réalisatrice s’écrit elle même à travers la reine de France : la royauté Française résonne avec la dynastie hollywoodienne des Coppola. Sofia, comme Marie est une jeune fille devenue femme trop vite sous la pression d’une réception critique impitoyable pour son rôle de Marie Corleone (même les noms résonnent) dans The Godfather 3. Accusée de népotisme, la jeune Coppola devra se réinventer et s’échapper de la cage dorée en passant derrière la caméra.
Marie Antoinette devient donc véritablement un personnage dont notre modernité exploite le potentiel. Les biographies récentes de Marie Antoinette négligent de plus en plus la réalité historique au profit d’une contemporanéité palpable par les lecteur..ices. C’est le projet de Evelyne Lever qui rédige Le Journal Intime de Marie Antoinette (2002), composé en partie de lettres mais surtout de passages inventés, offrant un récit de soi fictionnel à la première personne dans une prose relativement contemporaine. Le projet est cependant contradictoire. Si l’on revient à Zweig, qui a décortiqué le mieux la psychologie de cette femme, on sait qu’elle détestait écrire, elle n’a jamais tenu de journal car trop peu patiente et trouvait laborieux d’entretenir sa correspondance. Le livre de Lever choisit donc de plonger dans la fiction totale et l’erreur historique pour mieux connecter avec les lecteur..ices modernes, avides de journaux intimes et écrits de soi, même fictionnels.
Marie Antoinette fascine donc car ses paradoxes nous parlent. Son traitement n’est pas si différent de celui que connait Lady Diana récemment. Leur transformation en personnage est un exemple de la fascination que l’histoire peut susciter si on la lit du point de vue personnel mais surtout de notre talent au romantisme exacerbé. Au delà du but informatif, les biographies de ces femmes interrogent notre rapport à l’intime et à la psychologie : ce n’est pas tant pénétrer dans le Versailles du 18e qui intéresse, c’est apercevoir les mouvements intérieurs de ceux qui l’habitent ; ce n’est jamais uniquement pour informer qu’on écrit sur une figure, c’est pour mieux la mettre en scène.
xoxo, Ewen