Skyfall - Adèle 007

THE SPY ISSUE

Olivia Beaussier

11/30/20234 min read

Comment parler de musique d’espion sans parler de celle qui a réussi à voler la vedette du film ? Celle qui recevra l’Oscar de la meilleure chanson originale, celle qui encore aujourd’hui figure parmi les plus grands classiques de la carrière d’Adele : « Skyfall ». En 2012 sort le 23ème opus de James Bond. Bien que l’opus ne soit pas le plus marquant de la saga, la chanteuse britannique donnera naissance à ce qui rapportera au film un succès presque intemporel.

Adele, aussi co-autrice de la chanson, jongle entre des paroles d’amour et un vocabulaire criminel. La chanson parle d’une relation amoureuse, mais la chanteuse vient détourner le langage tendre et aimant en quelque chose de plus sombre correspondant à un univers d’espionnage. Elle nous perd et nous immisce dans un monde angoissant où il est nécessaire de toujours trouver des doubles sous-entendus. Par exemple, dans le deuxième couplet on entend “You may have my number / You can take my name / But you’ll never have my heart”. Ces lignes peuvent être interprétées de deux façons différentes : une scène de rencontre classique où un interlocuteur souhaiterait aborder la discussion avec Adele, peut être réussir à obtenir son numéro de téléphone en vue d’une possible relation amoureuse. Dans l’autre cas cet interlocuteur pourrait être un espion essayant de lui soutirer des informations. Selon elle, il ne « pourra jamais avoir son cœur », cette métaphore du cœur sous-entend que l’autre ne peut accéder à ses sentiments, d’une façon plus directe ; que l’autre ne peut la tuer.

Les doubles sous-entendus marquent la chanson et sont présents dès le titre. Le mot « skyfall » désigne dans le film le manoir écossais où se déroule la bataille finale de l’opus. Dans la musique ce mot est repris comme deux nom séparés “sky” et “fall”, littéralement le ciel qui tombe, nous livrant un paysage pesant, où le ciel est bas, chaotique. La chanson apparaît dans le générique et vient comme prévoir ce qu’il se passera à la fin. En effet, pendant la scène du manoir, l’ambiance est très sombre, angoissante, marquée par les couleurs du ciel qui alternent entre le gris, le rouge, le noir, des couleurs qu’on retrouvera d’ailleurs dans le générique. La chanteuse décrit cette atmosphère d’une façon très évasive et imagée : “[Skyfall is] where worlds collide and days are dark”. Le film porte les marques de ces deux mondes qui se réunissent, le bien confronte le mal, le manoir s’enflamme dans un paysage glacé, le ciel tombe pour rejoindre la terre. Les opposés s’unissent et la musique en est la consécration.

Le morceau s’ouvre sur quatre accords au piano qui donnent le rythme au reste de la chanson. Cette mélodie n’apparaît que dans le premier couplet, et pourtant en est maintenant son élément phare. La progression des accords en Cm respecte un code populaire du pop-rock, une variation du 50s swing : Cm, Ab, Fm et Fm. Sauf que sur le mot “burst” et “again” qui terminent le couplet, à la place d’un Ab et d’un Fm, le compositeur Thomas Newman décide de les remplacer par un D et un G. Newman crée une rupture avec l’harmonie diatonique en Cm de la gamme, ce qui vient rompre avec la progression ordinaire créant une sorte d’attente, on comprend que quelque chose va se passer, c’est le début du suspens. C’est à ce moment-là que l’orchestre reprend la main. Au refrain un nouvel accord en F apparaît, on a affaire à une progression toute nouvelle avec une sonorité qui reste étrangement proche tout en s’éloignant de l’original Cm. Entre nostalgie et inachevé, le piano lent s’entrechoque avec l’orchestre qui plonge dans la profondeur majestueuse de ses instruments. On pourrait y voir une sorte de représentation des deux amants qui n’ont rien à voir et pourtant, ensemble, créent une fusion intense mais plaisante, bien qu’inconventionnelle. Adele et sa magnifique voix naturellement grave, performent sublimement cette menace qui plane au cœur d’un suspens déjà insoutenable.

Cette menace se fait sentir dès la première phrase. « Skyfall » s’ouvre sur le désormais très connu “This is the end”, une façon bien étrange d’introduire un film et encore plus d’introduire une relation amoureuse. Cette scène devient alors graphique, comme quelqu’un mettant en joue une autre personne en lui disant « c’est la fin, retiens ton souffle et compte jusqu’à dix ». Cette introduction ne prévoit rien de bon. Est-ce un avertissement pour le public, ou est-ce contre la relation elle-même ? Pourtant plus la chanson avance plus Adele insiste sur le fait que l’union des amants est salvatrice. Ce n’est qu’ensemble qu’ils peuvent faire face au chaos le plus total, au ciel qui tombe. Ce qui était au début un vocabulaire menaçant se transforme peu à peu en quelque chose de profond et intime. Encore une fois, Adele fait jouer le double sens de l’espionnage dans un pont musical, on entend “Where you go, I go / What you see, I see”. D’un côté nous avons l’espion qui suit sa proie à la trace, et de l’autre, les deux amants liés qui ne peuvent se séparer. La chanson se termine par Adele avouant enfin n’être elle-même qu’en présence de son amoureux. Elle laisse tomber les armes, et enlève sa couverture d’espion, celui qui était son ennemi devient en vérité son allié. « Skyfall » décrit le paroxysme du romantisme, les deux amants dépendent complètement l’un de l’autre et pourtant s’observent dans l’ombre, comme une espèce de fuis-moi-je-te-suis de 4min47 où au final, aucun des deux ne tirera la gâchette.

Cette chanson d’amour alambiquée, qui est maintenant un incontournable de la discographie d’Adele, a permis à Skyfall de connaître la notoriété qu’il a eu. Qui s’intéresse à un anglais qui tue des gens ? Au Requin Rose on est convaincu que sans Adele et sa bande originale, ce film n’aurait jamais eu un tel succès. Donc merci Adele, et fuck James Bond. Pour votre santé, prenez un peu plus de piano et un peu moins de male gaze.

xoxo, Oliv Music & Lights