
“You can’t have both sex and drugs.”
Les 80s according to Eve Babitz
THE YUPPIES ISSUE
Ewen Giunta
4/15/20234 min read
« You will have perceived by now that I was not one to profit by the experience of others, that it was a very long time indeed before I stopped believing in new faces and began to understand the lesson in that story, which was that it is distinctly possible to stay too long at the Fair. » remarque Joan Didion dans « Goodbye to All That » que je considère être le plus bel essai de Slouching Towards Bethlehem — et peut être, de toute son oeuvre. Cette morale épiphanique me semble être le point culminant du mode de pensée propre à cette mince catégorie de personnes bénies de la manifestation particulière de charisme qu’on appelle communément le « style ». Lana Del Rey parvient à une conclusion similaire dans le refrain élégiaque de « Paris, Texas », la track 10 de son dernier album Did you know that there’s a tunnel under Ocean Blvd :
« When you know, you know // It’s time, it’s time to go ».
Eve Babitz, symbole ultime de la modernité colorée des 60s subit peut être trop difficilement cette leçon au point de ne pas s’y confronter pleinement. Avec elle, Hollywood, la « self enchanted city », lieu sans saison, est confronté pour la première fois de son histoire à l’épreuve du temps.
La dernière oeuvre de fiction de Babitz, le recueil de nouvelles Black Swans, publié en 1993 bouscule l’univers diégétique de l’autrice qui jusqu’ici semble avoir trempé sa plume dans un encrier d’acide afin d’écrire ses livres. Black Swans se déroule dans les 80s vues et vécues par le prime enchanteur et désenchanté d’une Babitz vieillissante. En véritable Sad Girl, elle pleure au fil des pages une époque révolue et nous offre une des plus originale vision des années pop : triste, nostalgique et plus que jamais référentielle. Proustienne qui se respecte, Babitz se conforte dans ses references littéraires et artistiques pointues pour faire renaitre autour d’elle son Combray personnel, le LA de sa jeunesse. Sobre, elle doit se passer de l’experience sensible de Marcel, saisissant bien qu’elle préférait au thé le whisky, et que ses petites madeleines ressemblaient davantage à des traces de coke. La Eve Babitz des 80s comprend une chose : elle a écrit toute sa vie sur le sexe et la drogue, et elle a désormais plus que jamais besoin d’écrire ; or, le sexe et la drogue sont désormais incompatibles. Elle fait donc le choix du sexe comme moteur artistique, et dieu soit loué, on avait pas besoin d’un second Sam Levinson (le frustré). Les références obligent Babitz à plonger dans le passé et à réécrire certains de ces textes préférés : « Jealousy » est comme elle l’explique « a tale of modern-day jealousy » et se veut être comme un nouvel « Amour de Swann ».
De même, la société de Rodeo Garden telle qu’elle est peinte dans la nouvelle éponyme rappelle une sociologie tout droit tirée d’un roman de Fitzgerald. La cohérence temporelle de ses rappels littéraire trouve leur résonance avec le phénomène « preppy » des 80s qu’observe Babitz. Il est, pour elle, le reflet d’un désir de l’ordre et de l’uniforme qu’elle juge de mauvais goût (elle clash les « old money » wannabes trente ans avant). Eve, elle, préfère s’assagir en profondeur plutôt qu’en surface et relie son écriture à celle des auteurs du début de siècle comme si elle dessinait dans son imaginaire céleste la constellation du Décadent.
Les plus remarquables des pages de sa nouvelle « Tangoland » offrent au lecteur une danse endiablée entre l’autrice et sa prose. La métaphore sexuelle et l’ekphrasis d’une danse à laquelle elle participe tourbillonnent sur la page comme une dernière déclaration d’amour au lecteur qu’elle aime tant. Car jamais un•e autre écrivain•e que Babitz n’a aimé son lecteur comme elle le fait : le naturel des dialogues parfois maladroits, la franchise des incises et l’attention exemplaire aux détails font pétiller sa prose dionysiaque d’honnêteté. Le tango de Babitz c’est celui de la mélancolie joyeuse. Pas encore une grande sage, elle se confine au Château Marmont dans la nouvelle « Expensive Regrets » afin d’échapper à la réalité aveuglantes des 80s et de ses néons. Elle retrouve dans l’hôtel mythique la gloire d’un temps révolu entourées d’autres nostalgiques incapables de tourner la page.
La plus touchante des nouvelles « Free Tibet » célèbre son ami Brian confronté au SIDA. Babitz touche au transcendantalisme et à la métaphysique et offre peut-être le plus impressionnant de ses texte, se révoltant contre son époque. Le SIDA, qu’elle évoque à plus d’une reprise dans le recueil n’est jamais personnifié ou allégorisé (I’m looking at you Ryan Murphy) : Babitz lui refuse cet honneur. Et pourtant, le SIDA est la source de nombreux maux de Eve : la fin de l’insouciance, la mise à mal de la sexualité et la mort de la liberté.
En un mot, Black Swans est l’apogée évidente de l’oeuvre de Babitz. L’unité magique de Eve’s Hollywood (1974) et de Sex and Rage (1979) ne peut plus se constituer comme auparavant et le format fragmentaire du recueil devient une évidence. Les contes californiens de Slow Days, Fast Company (1977) ne peuvent plus que retomber dans le réalisme brutal d’une époque colorée par l’ordre et la mort. Comme Hollywood, Eve Babitz est une mythologie au sens où Barthes l’entend : Black Swans, met à l’épreuve des mythèmes que l’autrice à fabriqués et collectionnés dans toute son oeuvre et illustre l’avenir décrépissant des artifices, lui permettant d’ériger, at last, la plus grande preuve d’éternité qu’elle aura trouvé : le style.
xoxo, Ewen.